Professeur émérite de Western Sydney University en Australie, Roger Juchau est parvenu à remonter le fil de son histoire familiale jusqu'au coeur du Mellois, à La Couarde. Des premiers Juchau débarqués à Londres à James que l'on suit jusqu'au bout du monde, en passant par Tom, champion de boxe, suivez l'incroyable histoire de ces protestants qui ont tout quitté pour construire une autre vie ailleurs.
Présenté par Remy Foisseau du Centre de documentation, de ressources et de recherches Jean-Rivierre à la Couarde
Dans l'épisode précédent...
Charles Juchault s’est exilé à Londres vers 1710 pour fuir les persécutions et une très mauvaise année 1709. Arrivé à Londres, il sera boulanger et se fixe dans un des quartiers les plus pauvres du centre de Londres, à St-Gilles entre Soho et Spitalfields. Il se marie à Elizabeth Siblet en 1725, ils ont 9 enfants mais 4 seulement ont survécu. Thomas (Tom), Daniel, Lewis et Philip. Ils sont tous membres de l’église anglicane, bien qu’il y ait un nombre important d’églises protestantes françaises. Ce qui leur permet de s’intégrer et de s’adapter plus rapidement à une vie quoique très difficile mais identique à celle de tous les exilés qui les entourent, qu’ils viennent du Poitou bien sûr mais aussi des autres régions de France, de Wallonie, d’Irlande ou d’ailleurs.
La période de 1730-40, est celle où les autorités londoniennes ont lancé de grands travaux d’assainissement des rues de la ville avec la réfection des chaussées ce qui fait que la principale activité des hommes de la famille est le métier de paveur. Ils appartiennent à une guilde et le travail est pénible. Il permet à peine de faire vivre la famille. C’est la raison pour laquelle Tom (Thomas) fait de la boxe pour apporter un complément de revenu. Il deviendra champion d’Angleterre alors que son frère Philip perdra la vie dans un combat.
Que sont devenus les autres membres de la famille Juchault ?
Londres n’est pas très loin de la France, mais tout espoir de retour est impossible, d’autant que Louis XV confirme en 1724 la Révocation de l’Edit de Nantes. Un retour veut dire abjuration, ce qui n’est pas envisageable. Le Poitou devient très vite un souvenir submergé par l’intensité et la dureté de la vie dans ces quartiers de St Giles, Osborn ou Spitalfields. Chacun doit trouver une place et une identité et relever de nombreux défis. La famille Juchau et les descendants vont rester dans cette partie de Londres qui leur permet de travailler et de vivre. Beaucoup seront paveurs, d’autres seront tisserands pendant des générations et seront les oubliés de l’histoire. A l’exception de James que nous allons suivre jusqu’au bout du monde.
L'histoire se poursuit avec James
James est né à Shoreditch au centre de Londres, en 1815. Il est le fils de James (1 des 11 enfants de Thomas notre paveur et champion de boxe) et de Sarah Milton, il est baptisé à l’église anglicane St Léonards. C’est le petit-fils de Thomas et arrière-petit-fils de Charles notre Poitevin de la Couarde. À 14 ans, James est un enfant de la rue, il mène tant bien que mal une activité de jardinier et une existence marginale dans l’est de Londres où il côtoie la détresse sociale, la pauvreté et la misère.
Etre un enfant dans le Londres du XIXe siècle
James est le 2ème d’'une fratrie de 4 frères et 4 sœurs, tous ont très peu d’éducation, et les garçons sont supposés trouver du travail pour soutenir la famille. Le père de James, James senior ayant vécu dans une famille de 11 enfants, a supporté beaucoup de difficultés et de contraintes et tout ce qui peut apporter un peu d’argent dans la maison est bienvenu.
En 1815, la naissance de James correspond à la fin du conflit entre Napoléon et les autres pays d’Europe, dont l’Angleterre. Les soldats rentrent à la maison, le commerce et l’industrie reculent, le chômage augmente comme la misère et les maladies, les conditions sociales qui sont déjà très mauvaises se détériorent davantage. Pour James, il est bien loin le Poitou et la vie de ses ancêtres dont il n’a certainement jamais entendu parler !
Comment son destin a-t-il basculé ?
C’est dans ce climat de misère, qu’un jour de 1829, il a 14 ans, trainant dans les rues, James entre dans une mercerie et est surpris avec un rouleau de ruban dans son sac. En entrant dans cette mercerie, il entrait dans le monde des petits crimes appelés « canting the dobbin » (Autrement dit : un faux-pas malheureux). Incarcéré dans la prison sordide de Newgate en novembre 1829, il est condamné à 7 ans de déportation à la fin décembre. Seul au procès, abandonné par sa famille, sa seule défense a été de dire que le rouleau de ruban « it’s falling in my bag », « est tombé dans mon sac ». (Titre d’un récit de Roger Juchau).
Il est donc condamné à l’âge de 14 ans. Comment la société anglais gère ces condamnations ? Que lui arrive-t-il ensuite ?
À cette période, on est en 1830, la société anglaise était assez partagée sur la condamnation et la déportation des enfants et adolescents. James devait être puni mais il devait aussi avoir l’opportunité de retrouver une vie sociale normale après sa peine par l’apprentissage d’un métier, ce qui correspondait avec les objectifs de la politique de colonisation de la NSW (New South Wales) en Australie. Ce sont les débuts de la mise en valeur de l’Australie par l’Angleterre. En attendant la déportation, il est transféré à Chatham dans un bateau prison, l’Euryalus ; Après la défaite de Napoléon en 1815, l’Angleterre n’a plus l’utilité de ses bateaux de guerre, les désarme, et ils vont servir de prison pour les enfants et les adolescents.
380 jeunes de 9 à 18 ans se retrouvent sur cette carcasse de bateau dans des conditions horribles en attendant la déportation. Il part pour la NSW en juin 1830 sur le Lord Melville et après 137 jours et 16 000miles de traversée, il arrive à Sidney le 21 octobre 1830.
Après le débarquement, James est assigné au bâtiment pour ados dans les baraquements Carter qui ne sont autres que des « Maisons de redressement » pour jeunes, avec l’espoir que le temps passé dans cet endroit leur sera profitable pour obtenir un métier et servir à la mise en valeur de la colonie.
Comment vit-on là-bas ? Les conditions climatiques sont-elles très différentes ?
Le centre se trouve en NSW au sud-est de l’Australie où le climat est assez doux en hiver et chaud en été, les saisons sont inversées par rapport à l’Europe. Les bonnes conditions de vie, d’hygiène, l’activité y compris la religion vont lui donner des bases solides pour sa réhabilitation. Il est transformé moralement et socialement et préparé à ses responsabilités dans la vie civile après sa peine. Son apprentissage terminé en octobre 1832, il est qualifié dans la fabrication des harnais pour chevaux et Il va rejoindre une ferme de 2000 ha avec 300 chevaux à 10 miles de Singleton.
Mais il n’a pas encore fini sa peine, il est libéré en avril 1837, à 22 ans. Â partir de ce moment, il devient un acteur important dans le développement régional de Nouvelle Galles du Sud (NSW). En 1840, il est employé comme sellier dans le village de Scone. En juillet 1841, il se marie avec Elizabeth Delve à Scone. Elizabeth est née à Loxhore au sud-ouest de l’Angleterre. Elle a répondu à une offre d’emploi comme servante en NSW pour jeunes femmes entre 18 et 30 ans. Après son arrivée en février 1841, elle travaille comme domestique à Scone. Ayant reçu l’autorisation du gouverneur, elle se marie avec James Juchau. Elizabeth est d’origine rurale et n’a pas peur d’affronter tous les défis qui vont se présenter : élever une famille, isolée dans la campagne, avec des conditions météo parfois difficiles.
Ils s'installent ensuite dans la Upper Hunter Valley. Comment parviennent-ils à vivre ?
Ils forment un couple de pionniers dans la Upper Hunter Valley, une région où les aborigènes vont disparaitre en raison de la diminution de leurs activités. Ils s’installent en 1842 près d’une auberge et des commerces à Haydonton. Ils construisent une habitation et un atelier de confection de harnais. Les années 1840 sont difficiles et James sera obligé de compléter ses revenus par un travail de surveillant dans une propriété et en louant des terres comme fermier. En 1841, la rivière Pages est à sec. La vente de biens en 1846, lui permet de passer l’année de sècheresse de 1847.En 1848, l’activité repart et il agrandi ses magasins. Il achète des terrains sur lesquels il va construire des petits « cottages » pour les louer : 22 à Haydonton et 11 à Murrurundi. La croissance a été soutenue par le gouvernement, notamment avec des services publics notamment l’installation d’un tribunal en 1843 et d’une école en 1849. Le commerce prend de l’importance avec de nouvelles voies de communication, des constructions d’habitations, d’hôtels et auberges. La mixité culturelle des Anglais, Irlandais et Ecossais a favorisé la tolérance, l’émulation et la participation dans les projets, et pour cause : Ils ont tous la même langue !
Des enfants naissent de cette union
Entre 1842 et 1850, 2 garçons : Jimmy et Charlie et 2 filles : Sarah et Fanny ont été baptisés à l’église anglicane. James, par une donation, a participé à la reconstruction de l’église St Paul, il a aussi donné une cloche qui existe encore mais dans une autre église : à St Lukes Anglican Church à Blandford. De 1830 à 1850, en 20 ans, James est passé d’un adolescent condamné déporté, à un homme d'affaires et un père de famille prospère. Il a acquis de nombreuses propriétés et est devenu un mécène de l’école publique, la première de la Hunter Valley. Sa vie a été déterminée par son engagement civique ainsi que dans l’église anglicane. Les liens avec l’Angleterre n’ont repris qu’en 1877, James avait alors 62 ans.
Comment se développe la région ? La colonie insuffle-t-elle une relève économique ?
L’activité économique de la région a considérablement varié et baissé dans le dernier quart du 19ème siècle. La descendance a continué la tradition des Juchau de s’impliquer dans l’action civique et communautaire. Son fils Charles devient coroner de district et magistrat colonial.
En quoi cela consiste ?
James a continué son activité jusqu’à sa mort en 1897, à l’âge de 82 ans. Il a traversé des moments difficiles et n’a jamais été gêné par son passé de condamné et déporté, sauf peut-être dans ses relations tardives avec les membres de la famille restés en Angleterre.
Ces colonies avaient donc plusieurs objectifs. Etaient-ils clairement perçus dès le départ par les autorités ?
L'expérience de James dans la colonie de Nouvelle-Galles du Sud suscite des réflexions sur la façon dont une colonie, créée pour résoudre les problèmes sociaux, politiques et mettre en avant les intérêts de l’empire, est devenue une réussite de transformation humaine. Les condamnés, les pauvres et les analphabètes se sont joints aux colons libres pour forger une société encadrée, qui a réussi et prospéré. Beaucoup d'éléments de transformation résidaient dans le dynamisme et l'ambition des personnes, qui ont beaucoup œuvré à l’exploitation des terres, dans l'absence relative de barrières institutionnelles, culturelles et de classe. Les opportunités offertes par la colonie, ainsi que l'évolution et la proximité de la gouvernance du territoire, ont ouvert la voie au succès au détriment des aborigènes.
Quelques années plus tard, un certain Roger Juchau écrit un ouvrage sur l'histoire de sa famille. Qui est-il ?
Né en 1942 et professeur émérite de Western Sydney University, il est diplômé des universités de Nouvelle-Galles du Sud, du Queensland (une autre région d’Australie), du Sussex en Angleterre et membre du New Zealand Institute of Management. En 1989, il a été chercheur invité à l’Université de Californie à Davis et, en 1994 et 1999, professeur invité à l’Imperial Collège de l’Université de Londres à Wye. Ses principales recherches portent sur la gestion de patrimoine privé, la formation comptable professionnelle et la gestion financière, Il a aussi fait l’étude sociale des habitants de Sydney Ouest, des recherches sur l’éducation en général, et sur le commerce agricole en Nouvelle-Zélande. Il est membre de l’église anglicane.
Roger Juchau est un descendant direct de Charles Juchau né en 1688 en Poitou et décédé en 1756 à Londres. Son arrière-arrière-grand-père est James le déporté (1814-1897), son arrière-grand-père est Charles-Francis (1844-1923), son grand-père Clarence-Louis (1888-1965) et son père Hugh-Louis Juchau (1916-1985). Le nom de Juchau est assez répandu particulièrement en NSW dans la région de Sydney.
Pour venir à la Couarde, l’histoire est assez simple : dans de nombreux pays des Sociétés Huguenotes ont été créées pour retrouver la généalogie ou les origines des ancêtres et c’est par la Société d’Histoire du Protestantisme créée en 1852 et surtout par la section généalogie à partir de 1977, qui centralisait les questions des exilés du bout du monde. Elle transmettait en retour les réponses de ses membres et adhérents. Toutes ces sociétés huguenotes possèdent de nombreuses archives et particulièrement celles de la Huguenot Society de Grande Bretagne et d’Irlande. C’est ainsi que Roger Juchau est remonté jusqu’à Jean Rivierre et ses recherches sur les protestants du Poitou.
Roger Juchau termine son récit par : « James et Charles ont été des hommes remarquables qui se sont forgés une nouvelle vie dans des conditions difficiles. En vérité, la devise huguenote, « Light after Darkness » ou comme exprimé en latin, « Post Tenebras Lux », s’applique à eux. » (R Juchau) traduction.
Cette devise a été adoptée par la Réforme dès le début du 16ème siècle. On la retrouve sur les armoiries de Genève, aux Baux de Provence, ou sur le mémorial huguenot à Franschhoek en Afrique du Sud.
De plus, les informations fournies par Jean Rivierre, ont permis à Roger Juchau de retrouver Clyde Juchau aux Etats-Unis., un cousin par leur ancêtre commun du Poitou.
Nous avons rencontré plusieurs fois Roger Juchau avec son épouse Madeleine, au Centre Jean Rivierre, quand il visite ses « cousins » à Prailles.
D’autres descendants australiens tels que Théo et Kathy Chaufepié ou Pamela Summers sont passés au Centre Jean Rivierre en 2023 et 2024. Tous pour connaître l’histoire de leurs ancêtres.
Vous retrouverez d’autres histoires d’ancêtres à partir des recherches de jean Rivierre ou dans la documentation et les archives du Centre : Les Duchesne de Cherveux, les Gourjaud, Pierre Béguier de Chail et Madeleine Foisseau de Beaussais, les Chalmot, les Chevalleau de Boisragon et bien d’autres.
• Le “livre Light after Darkness” est disponible sur internet. SBN-10: 0994560354
• ISBN-13: 978-0994560353 en anglais.
Pour compléter ce récit, une citation de Paul Ricœur :
« Sous l’histoire, la mémoire et l’oubli.
Sous la mémoire et l’oubli, la vie.
Mais écrire la vie est une autre histoire ».
Pour en savoir plus sur l'histoire des protestants poitevins :
Musée du Poitou protestant place de la mairie – Beaussais - 79370 Beaussais-Vitré
Centre Jean Rivierre 5 impasse du temple – La Couarde - 79800 Prailles-La-Couarde
05 49 32 83 16